Une musique dépouillée qui invite au silence !
Maître d´œuvre de " Solitudo ", Bernard Héritier a cherché à entrer dans la musique cartusienne pour en donner, avec le choeur Novantiqua de Sion, une interprétation sobre et la plus proche possible de la tradition. La pureté austère et dépouillée des lignes mélodiques donne aux pièces proposées, choisies dans différents registres de l´âme humaine, une solennité et une gravité uniques. Une discrète invitation à entrer dans le monde d´amour, de silence et de solitude des Chartreux.
Bernard Héritier, les morceaux retenus pour "Solitudo" sont tirés du répertoire des Chartereux: comment définir ce répertoire ? Qu´est-ce qui le caractérise ?
Le répertoire des mélodies grégoriennes de la tradition des Chartreux correspond à l´idéal de cet ordre monastique : les lignes mélodiques volontairement plus dépouillées que celles de la tradition bénédictine traduisent la volonté du fondateur, saint Bruno, de trouver un mode de vie qui soit, dans la solitude et le silence, un témoignage authentique de la radicalité de l´amour de Dieu. Les textes cartusiens sont ceux de la liturgie catholique priés dans la tradition monastique occidentale avec quelques particularités propres aux Chartreux : par exemple, certains passages du Salve Regina sont plus sobres ; ces détails vont dans le sens d´une plus grande immédiateté du texte et donc d´une plus grande familiarité avec l´au-delà. Il en est de même pour la musique : ainsi, les doxologies - " Gloire au Père, et au Fils, et au Saint Esprit " - des psaumes sont chantés plus lentement pour signifier la radicalité de la transcendance des personnes divines et l´adoration qu´elles suscitent.
Comment s´est opéré le choix des morceaux ?
Notre objectif était d´offrir une palette assez large de la musique des Chartreux : pour cela, nous avons opté pour un choix représentatif des pièces les plus belles du répertoire cartusien. Le choix des morceaux s´est fait avec un Chartreux, qui nous a proposé la thématique retenue : douleur, joie, paix, tendresse. Cette thématique souligne la vocation cartusienne qui, dans sa radicalité, est celle de tout chrétien : c´est par la mort et la résurrection de Jésus que le monde est sauvé ; cela signifie que c´est en acceptant et en reconnaissant que notre condition de créature ne trouve sa raison d´être qu´en un Dieu créateur et sauveur que nous pouvons accéder à la joie, la paix et l´amour.
Comment s´est déroulé l´enregistrement ?
Il s´est fait en deux temps : en mai et en octobre 1999, dans l´église de l´abbaye de la Maigrauge à Fribourg. Nous souhaitions en effet un cadre propice à cette musique, un cadre qui ne soit ni une salle quelconque ni un studio d´enregistrement. Nous avons été gâtés et par l´accueil chaleureux des moniales et par l´acoustique et la magie de cette merveilleuse église cistercienne. L´enregistrement s´est fait avec les voix d´hommes du choeur, une partie avec toutes les voix, une autre avec un petit groupe de chanteurs.
Quelle fut la plus grande difficulté ?
Il a été difficile, au départ, de persuader le choeur de bien-fondé du projet. Il a d´abord fallu faire accepter l´idée d´un enregistrement avec uniquement du grégorien : à une époque plutôt méfiante envers lui et où le religieux ne fait pas vraiment recette, ce projet était un véritable défi. Il a ensuite fallu faire accepter un enregistrement avec les voix d´hommes seulement.
Et la plus grande satisfaction ?
Elle est celle d´avoir mené à terme ce projet un peu fou. Nous avons d´une part fait connaître et apprécier une musique quasi inconnue qui témoigne d´une recherche spirituelle originale et unique. Nous avons d´autre part réalisé cet enregistrement gratuitement, sans en retirer aucun bénéfice financier. Cela nous a permis de nous libérer de la tyrannie exercée aujourd´hui par les impératifs économiques, hélas trop souvent maîtres du jeu jusque dans le domaine artistique.
Etait-ce un répertoire neuf pour le choeur Novantiqua ?
Pour les chanteurs, oui. Pour moi en partie. Je suis en effet en contact avec la chartreuse de la Valsainte, dans le canton de Fribourg, depuis de nombreuses années, ce qui m´a permis de faire chanter des pièces du répertoire cartusien par l´un ou l´autre des choeurs que je dirige.
Quelle impression dégage cette musique ?
Pour moi, elle est inséparable d´un lieu précis : la chartreuse de la Valsainte et sa très belle église, où rien ne distrait de l´essentiel, la louange de l´Unique. J´y ai suivi beaucoup d´offices, les plus marquants étant bien sûr les offices de nuit, entre 23h et 1h du matin : jaillissant de l´adoration silencieuse des moines dans l´obscurité d´une nuit illuminée par la seule Présence réelle, cette musique m´a toujours paru être véritablement au cœur du Mystère.
Que retirez-vous de cette expérience ?
Une grande joie d´avoir mené à bien un projet qui me tenait à coeur même si sa concrétisation a réclamé une certaine ténacité et une bonne dose de foi.
L´une des difficultés majeures fut d´un certain côté assez curieuse : avant " Solitudo ", le choeur Novantiqua avait enregistré le disque compact " De profundis clamavi ", des hymnes et des répons de la semaine sainte de Marc´Antonio Ingegneri. Les deux derniers disques du choeur sont donc consacrés à la musique religieuse, et pas la plus facile ! C´est cela même qui a constitué l´écueil le plus grand, à l´intérieur comme à l´extérieur du choeur : nous ne voulions pas voir le choeur se transformer en " grenouille de bénitier " !
Quant aux interprètes, ils étaient acquis au projet. Ils ont eu en outre la chance de passer trois jours à la Maigrauge : c´est une expérience unique de pouvoir chanter dans l´église de la Maigrauge, au cœur de la nuit, au cœur de la beauté et de la Présence.
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